Les grands chefs commencent à apprécier son petit goût de réglisse. Le réseau Slow Food le regarde d’un très bon œil. Le lobby de l’aspartame le déteste… Mais attention ! Le stévia possède plus d’une entourloupe dans sa poudre. Même si la plante semble être l’alternative idéale à l’aspartame, même si ses feuilles s’affichent en gros sur les emballages, le stévia n’est pas toujours aussi blanc qu’il y paraît.

Qu’est ce que le stévia ?

Sachez pour commencer que le stévia en tant que tel, c’est-à-dire le Stevia rebaudiana Bertoni, est interdit de séjour sous nos climats. La plante dont les Indiens Guaraní du Paraguay mêlent les feuilles douces aux feuilles amères de la yerba maté, l’astéracée dont le feuillage contient des stéviols glycosides 300 fois plus sucrants que le sucre de canne raffiné, n’a toujours pas droit de cité dans nos magasins d’alimentation. Depuis 2010, ce qui a changé, c’est que la France a autorisé par décret l’une des molécules de la plante, le rébaudioside A pur à 97 % et cela pour une période de deux ans. En novembre prochain, l’Europe devrait prendre le relais et autoriser dans l’Union tous les stéviols glycosides du stévia (à condition qu’ils atteignent les 95 % de pureté).

Herbe sucrée dans les rayons

Si le stévia reste en dehors des tables, ses molécules sont en voie d’intégration. Réjouissons-nous. Pour Jean-Renaud Lourette, directeur général de Tereos PureCircle Solutions (le leader mondial du stévia pur à 97 %), l’autorisation de mise sur le marché du rébaudioside A plutôt que de la plante dans son intégralité est une bonne chose. « Même si les Indiens Guaraní utilisent cette plante depuis des millénaires, nous manquons d’études sur son innocuité.

Certains peuples pourraient développer des allergies ou des intolérances. Les Africains ne supportent pas bien le gluten. Les Européens pourraient réagir de la même façon au stévia. En revanche, le rébaudioside A a été largement étudié et peut être vendu partout dans le monde. » Claudie Ravet, qui dirige la société Gua­yapi, une des premières à avoir commercialisé la poudre de feuilles de stévia, est de l’avis opposé (même si sa marque a sorti des sucrettes à base de rébaudioside A). « Dans le stévia, ce qui est intéressant, ce n’est pas uniquement le pouvoir sucrant des stéviols glycosides mais aussi tous les autres composants de la plante.

Lors­qu’ils agissent en synergie, ils aident à digérer, stimulent l’intellect, préviennent les caries, régulent l’hypertension, embellissent la peau… En revanche, on ne connaît pas encore suffisamment le rébaudioside A. Comment avoir du recul sur ce composant isolé alors qu’il n’a que quelques années d’existence. Est-il vraiment sûr ? Pour le moment, on n’en sait rien. »

Le stévia bientôt coté en bourse ?

Aujourd’hui, le marché du stévia fait saliver plus d’un industriel. L’aspartame n’a plus la cote– le ministre de la Santé, Xavier Bertrand, vient d’ailleurs de missionner l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), issue de la fusion de l’AFSSA et de l’AFSSET (Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail), pour enquêter sur les dangers possibles de l’édulcorant de synthèse. Dans ce contexte, le rébaudioside A fait partie des remplaçants sérieux. La progression de la plante indienne est fulgurante. En 2007, il s’est vendu pour 10 millions de dollars de rébaudioside A (contre près de 500 millions de dollars pour l’aspartame).

En 2008, 21 millions de dollars et en 2009, 180 millions de dollars. Les économistes estiment qu’à la fin de l’année 2011, le marché du stévia devrait atteindre 2 milliards de dollars. D’ici à 2015, il pourrait même flirter avec les 40 milliards de dollars. « Je ne serais pas étonnée que le stévia soit côté en Bourse ces prochaines années », prévient Claudie Ravet. En attendant, le géant du stévia se nomme PureCircle et a fabriqué en 2010 plus de 90 % du précieux rébaudioside A (à 97 % de pureté) commercialisé dans le monde. Évidemment, avec de tels volumes, les petites exploitations paraguayennes ne sont pas les seules à fournir la plante édulcorante.

Elle se cultive partout dans le monde : Brésil, Uruguay, Amérique centrale, Japon, Chine, Thaïlande, Inde, Israël. On teste également sa culture au Canada, en Nouvelle-Zélande, en Australie et en Europe. En France, une expérimentation est en cours dans l’Hérault. Au total, la superficie mondiale de la culture de stévia s’élève à 40 000 hectares (celle de la betterave sucrière est de 7 millions d’hectares). La Chine est en tête des pays producteurs avec 30 000 hectares. Le Paraguay avec ses 1 400 hectares est loin derrière…

Mais, selon les régions de production, la qualité n’est pas la même. La plante aime la luminosité, l’eau et de faibles amplitudes de températures. Si ces trois critères sont réunis, la culture est optimale. Et on peut constater alorsjusqu’à quatre récoltes par an et des concentrations très élevées de stéviols glycosides dans les feuilles. Sinon, la plante pousse, certes, mais moins bien, moins vite et ses feuilles sont moins riches en rébaudiosides.

Greenwashing à l’étalage

Produits minceur, boissons gazeuses, yaourts : aujourd’hui déjà plus d’un millier de produits contiennent des extraits de stévia. Dans les rayons, les feuilles vertes de la plante poussent sur les emballages jusqu’à parfois friser le greenwashing. L’exemple le plus criant relevé en rayons est la ligne Stévia Beghin Say. « C’est toute la gourmandise d’un morceau 50 % plus petit qu’un morceau habituel, pour le même pouvoir sucrant, nous explique la marque sur son site internet. Dans la ligne aux extraits de plantes de stévia, l’aspartame est remplacé par des extraits de plantes de stévia d’origine 100 % naturelle. » Magnifique.

Sauf qu’à y regarder de plus près, le joli petit morceau de sucre contient 99,7 % de sucre de canne et 0,3 % de stévia, ce qui donne en termes de calculs minceur exactement la même valeur énergétique (400 kilocalories pour 100 grammes) et 0,2 gramme de glucides en moins pour la Ligne stévia ! Dans le même genre d’arnaque marketing, les yaourts Taillefine au stévia contiennent 2 % de sucre de canne et un pourcentage non précisé (mais sans doute très faible) de rébaudioside A. Oule Fanta Still, certes moins chargé en sucre, mais sucré quand même. Jean-Renaud Lourette, qui fournit en rébaudioside A aussi bien Danone que Joker, Teisseire ou Fanta, ne prétend tromper personne. « Nous sommes dans une logique de réduction des calories en accord avec le Plan national nutrition santé, explique-t-il. Les produits présentent ainsi de 30 à 70 % de sucres en moins, c’est déjà pas mal. Notre objectif est de proposer de bonnes références en termes de goût aussi. »